Un exemple d’Application Scientifique

d’APL : La Simulation des Spectres de

RÉSONANCE  MAGNÉTIQUE

 

par Claude Chachaty

 

ou :

 

Le rôle pratique d'APL pour l'écriture de programmes efficaces

 

L’auteur de cet article, Claude Chachaty, n’utilise couramment, depuis plus de quinze ans, qu’un seul langage de programmation pour développer des logiciels dans toutes ses activités de recherche : APL.

 

C. Chachaty, après avoir pris récemment sa retraite, continue à publier dans la communauté scientifique mondiale les résultats d’expériences qu’il a accumulés durant de longues années dans ce qui était, à l’époque où il en assurait la direction, le second laboratoire de recherche en RMN en France, de par l’importance de ses installations (C. C. est l’auteur d’environ 180 publications dans de grandes revues internationales).

 

Cet article traite d’un sujet difficile, exigeant un très haut niveau mathématique et une bonne connaissance dans de nombreux domaines de la physique. Le but poursuivi par AFAPL en publiant cet article, est de montrer au lecteur que le champ d’application d’APL est plus vaste que ce que l’on croit, et peut faire progresser la science dans des domaines où chacun doit se sentir concerné, car les techniques de RPE (Résonance Paramagnétique Electronique) et RMN (Résonance Magnétique Nucléaire) ont et auront encore des retombées considérables notamment dans la pratique médicale. Les possibilités considérables offerte par APL en recherche fondamentale sont  peu exploitées ou tout simplement ignorées par les universitaires, aussi bien en France qu'à l'étranger. Au cours de ces quinze dernières années, l'auteur de cet article a utilisé intensivement APL dans ses recherches et contribué à faire connaître les applications  de ce langage dans le domaine de  la spectroscopie de résonance magnétique [1-3], qu'il continue à développer.

 

La résonance magnétique comporte deux branches principales, la résonance paramagnétique électronique (RPE) et la résonance magnétique nucléaire (RMN) respectivement découvertes en URSS par Zavoisky [4] et aux Etats-Unis par Bloch [5] et Purcell [6].  La RMN est bien connue du grand public en raison de ses applications médicales (scanner).  Le principe de la résonance magnétique peut être résumé de la manières suivante : les électrons et la plupart des isotopes nucléaires possèdent un moment angulaire de spin que l'on représente classiquement comme un dipôle magnétique engendré par la rotation d'une charge électrique. Dans un champ magnétique  , les spins effectuent un mouvement de précession de pulsation  autour de ce champ.  Prenons l'exemple d'un spin électronique; pour un nombre quantique de spin S, il existe 2S+1 valeurs possibles pour sa projection sur la direction  soit  en unité , h étant la constante de Planck. Il en est de même pour un spin nucléaire I.  A chaque valeur de  (ou de  ) correspond un niveau d'énergie. Les transitions permises entre ces niveaux fondamentaux (résonances) sont induites par la composante magnétique  d'un rayonnement électromagnétique de pulsation  , polarisé perpendiculairement à  . Actuellement, les fréquences des spectromètres  se situent entre 1 GHz  et 250 GHz pour la RPE et entre 60  et 750 MHz pour la RMN c'est-à-dire respectivement dans le domaine des hyperfréquences ou de l'infrarouge lointain et dans celui des radiofréquences. En l’absence de toute interaction autre que celle entre les spins et les champs magnétiques , la résonance électronique ou nucléaire serait observable pour ,  étant l'intensité du champ magnétique et , une constante caractéristique de l'électron libre ou d'un noyau donné. En réalité, les spins sont  soumis à de multiples interactions provenant en particulier des spins électroniques ou nucléaires voisins, ce qui a pour effet de diviser les niveaux fondamentaux en sous-niveaux, ceux-ci étant modulés par les fluctuations de champs magnétiques ou électriques locaux. C'est pourquoi les spectres de résonance comportent en général plusieurs raies et que ces raies ont une largeur finie.

 

 

 

Figure 1. Niveaux d'énergie et spectre d'absorption de RPE de l'atome H à la fréquence de 9,3 GHz. Les états  sont représentés par  ,  correspondant à    et  à   . La règle de sélec-tion  n'autorise que les transitions .

 

Un exemple simple d’interaction entre deux spins 1/2, ceux de l'électron et du proton, est donné par l'atome d'hydrogène, facilement observable dans l'hydrogène gazeux soumis à une décharge micro-onde ou dans des verres minéraux irradiés à basses températures. Un spectre analogue à celui de la figure 1 serait obtenu en RMN dans un système à deux spins 1/2 comme l'acide fluorhydrique HF, si l'on observe soit le fluor, soit le proton. La différence essentielle entre la RPE et la RMN  est dans la nature des espèces chimiques que permettent d'étudier ces deux spectroscopies. La RMN concerne plutôt les molécules stables, généralement diamagnétiques, et son usage est beaucoup plus général. C'est une méthode privilégiée d'identification et d'étude conformationnelle des molécules dans les liquides et les solides. En collaboration avec G. Langlet, nous avons développé des logiciels APL pour l'étude par RMN des conformations et de la dynamique de molécules flexibles en milieu fluide [1].  La RPE dont il sera question uniquement par la suite, ne concerne par contre que les molécules paramagnétiques possédant au moins un électron non apparié, c'est-à-dire les radicaux provenant de la fragmentation ou de l'ionisation d'une molécule, certains complexes métalliques ainsi que l'oxygène qui est un biradical. Ces molécules, généralement très réactives, sont responsables en particulier des réactions de réduction, d'oxydation et de polymérisation.

 

L'analyse d'un spectre de RPE donne trois types d'informations sur une molécule paramagnétique :

 

- Nature, conformation, structure électronique, d'après les positions et les    intensités relatives des raies.

 

- Mobilité rotationnelle et translationnelle, d'après l'évolution des positions et    des largeurs de raies avec la température.

 

- Concentration dont l'évolution éventuelle en fonction du temps donne la    cinétique de réaction.

 

Les deux premiers types d'informations nécessitent généralement des simulations de spectres  en essayant plusieurs jeux de paramètres : les valeurs principales du tenseur gyromagnétique (g) et les largeurs de raies corres-pondantes, celles des tenseurs de couplage hyperfin (A) ainsi que les orientations relatives des axes principaux de ces tenseurs. g et A correspondent respectivement à l’interaction du spin électronique avec le champ  et avec un spin nucléaires. Ces tenseurs sont représentés par des matrices symétriques  dont les valeurs propres sont de la forme  avec u = x, y ou z.

 

Pour une distribution sphérique du spin électronique autour d'un noyau (orbitale s) comme dans le cas de l'atome H, les termes anisotropes  disparaissent et l'on obtient un spectre indépendant de l'orientation du champ magnétique. Dans la majorité des cas cependant, la distribution de la densité de spin électronique est anisotrope de sorte que les positions et les écarts des raies dépendent de l'orientation des axes x,y et z par rapport à . Si le milieu étudié est une matrice rigide amorphe ou polycristalline, le signal RPE est une somme pondérée d'une quasi-infinité de spectres correspondant à toutes les orientations de  définies par les angles polaires  dans un référentiel moléculaire. Il en résulte des formes de raies assez complexes comme on peut en juger en comparant les figures 1 et 2 qui correspondent toutes deux au couplage du spin électronique avec un seul proton.

 

 

Figure 2. Spectre d'absorption du radical malonyle à 9.3 GHz calculé d'après les données de McConnell et al. , J. Am. Chem. Soc. 82, 766 (1960). Les raies marquées (*) correspondent aux transitions "interdites" . La direction Z est l'axe de l'orbitale de l'électron non apparié.

 

Les spectres de RPE sont enregistrés à fréquence  fixe et à champ  variable, généralement sous forme de dérivée première d'absorption, et le programme de simulation procède par les étapes suivantes :

 

1 - Paramètres

 

Invariants : fréquence du spectromètre, domaine spectral, valeurs du spin électronique et des spins nucléaires.

 

Ajustables : valeurs principales  des tenseurs A , g et D (interaction dipolaire entre spins électroniques pour ), largeurs de raies lorentziennes ou gaussiennes.

 

2 - Dépendance angulaire des  probabilités de transition   et des largeurs     de raies .

 

3 - Calcul des champs de résonance .

 

4 - Pour chaque transition, sommation des spectres sur toutes les orientations      suivant l'expression :

 

 

où F est la fonction de forme  et N un facteur de normalisation, ce qui donne en APL2, pour une forme lorentzienne[1] de raie

 

(d1 d2 d3)„½¨B0 th phi

U„B0°.-,Br ª F„÷‘U×1+U×U„U÷‘U„(d1½1)°.×,sigma

S„S÷+/S„F+.×,P×(1±th)°.×d3½1

 

S  peut être ensuite convolué par une gaussienne et dérivé numériquement.

 

5 - Visualisation des spectres expérimental et calculé.

 

6 - Si le résultat n'est pas satisfaisant, retour en 1 pour ajuster les valeurs prin- cipales des tenseurs et les largeurs de raie. Cette étape peut être automatisée à l'aide d'un programme d'optimisation qui minimise la variance entre le spectre expérimental et le spectre calculé.

 

La programmation en APL de ce calcul, dont la figure 3 donne un exemple, est très simple. Le seul problème est celui de la dimension des tableaux qu'il faut parfois fragmenter pour éviter WS FULL.

 

 

 

Figure 3. Dérivée première du spectre expérimental et calculé (- - - - -) de l'ion vanadyle  en matrice rigide de polymère . Durée du calcul : 10 s en APL*PLUS II sur PC 486, 66 MHz, pour 530 valeurs de  et 120 valeurs de q.

 

L'application majeure de la RPE est actuellement la technique des sondes paramagnétiques ou marqueurs de spin, généralement des radicaux stables nitroxydes, dont la mobilité est une mesure de la viscosité locale du milieu étudié ou de la flexibilité d'une macromolécule. On peut utiliser par exemple cette technique pour étudier l'effet d'un plastifiant sur un polymère [7] ou  l'adsorption d'un solvant dans des solides poreux [8].

Cette mobilité est caractérisée dans le cas le plus simple considéré ici, par un temps de corrélation de réorientation  qui correspond à peu près à la durée d'une rotation aléatoire d'amplitude quadratique moyenne 30°. La forme des spectres et les méthodes de simulation sont radicalement différentes selon l'ordre de  grandeur de   par rapport aux anisotropies des tenseurs A et g exprimées en fréquences. Si la réorientation est suffisamment rapide, l'anisotropie de ces tenseurs est annulée en moyenne et l'on obtient des raies fines et symétriques dont les largeurs augmentent linéairement avec . Si la réorientation est lente, les écarts entre les raies sont plus grands que dans le cas précédent et les raies sont larges et asymétriques. Enfin si la réorientation est ultralente, le spectre est identique à celui observable en milieu rigide. Pour un radical nitroxyde, à une fréquence de 9 GHz, la frontière entre les domaines de réorientation rapide et de réorientation lente se situe à  2 10-9 s  et la limite rigide vers 10-6 s.

 

 

 

 

Figure 4. Spectres RPE expérimentaux et calculés (- - - - ) d'un radical nitroxyde phosphoré, en milieux  ( A ) rigide,  ( B ) visqueux  ( = 2.3 10-8 s),  ( C ) fluide ( =  8.7 10-10 s). Leur structure  hyperfine provient de l'azote (I = 1) et du phosphore (I = 1/2). Ces spectres ont été enregistrés au laboratoire de P. Tordo à l'Université d'Aix-Marseille où a été synthétisé le radical.

 

La figure 4 donne des exemples de spectres expérimentaux et calculés pour ces trois domaines. Pour deux d'entre eux, le temps de corrélation de réorientation a été obtenu par simulation des spectres avec ajustement automatique de 3 à 5 paramètres, dont  , à l'aide d'une fonction APL basée sur l'algorithme de Marquardt [9] qui minimise les moindres carrés des écarts entre le spectre expérimental et le spectre calculé. Le principe  de ces simulations est donné dans la réf. [8].

 

La RPE, comme la RMN, a des applications considérables en biologie, en particulier pour l'étude des membranes [10] constituées en général par des doubles couches de phospholipides. Les phospholipides comportent une tête polaire contenant un groupe phosphate et deux longues chaînes hydrocarbonées. Les chaînes hydrocarbonées constituent l'intérieur de la membrane et les têtes polaires se placent aux interfaces avec l'eau. Les membranes biologiques sont en fait des cristaux liquides dans lesquels les molécules fluctuent autour d'une direction perpendiculaire aux interfaces. La fluidité d'une membrane varie entre les interfaces et la partie médiane hydrocabonée. L'ordre moléculaire et la fluidité peuvent être mesurées par RPE en incorporant une sonde radicalaire nitroxyde de structure appropriée dans la membrane. On peut ainsi étudier l'effet d'additifs comme le cholestérol ou certains médicaments marqués au nitroxyde sur ces facteurs.  Plusieurs programmes en APL ont été écrits pour simuler les spectres de sondes paramagnétiques dans des cristaux liquides. Ces programmes font appel à l'algorithme de Marquardt pour ajuster automatiquement les paramètres de ces simulations, en particulier les temps de corrélation de réorientation, les paramètres d'ordre qui donnent le degré d'orientation moléculaire, éventuellement les vitesses d'échange entre deux phases.  

 

 

 

 

 Figure 5. Spectres expérimentaux et calculés (- - - - -) de l'acide stéarique marqué en position 5 (5 NS) et 16 (16 NS) par un groupe nitroxyde, dans une membrane de phospholipide [11].

 

 (A) : 5 NS,  , = 1.25 10-9 s. (B) : 16 NS, , = 8 10-10 s.

 

La figure 5 permet de comparer les spectres de deux sondes où le groupe nitroxyde se place soit au voisinage de l'interface de la membrane avec l'eau (5 NS ), soit dans la partie médiane de  celle-ci (16 NS) . Les paramètres d'ordre  et les temps de corrélation  mesurés sur ces deux sondes sont caractéristiques d'un fort gradient de fluidité entre la surface et le centre d'une double couche de phospholipide.

 

Le logiciel de RPE dont il est question ici ainsi que celui de RMN ont été initialement écrits en APL2 d'IBM sous VM. Ces logiciels existent actuellement en versions simplifiée pour APL*PLUS, complète pour APL*PLUS II et en cours d'adaptation pour APL*PLUS III. Nous n'avons pas relevé de différences notables entre les performances de ces deux dernières versions, APL*PLUS III étant seulement un peu plus facile à manipuler par un utilisateur ne connaissant pas APL.

 

REFERENCES

 

1 - C. Chachaty, G. Langlet, J. Chim. Phys. 62, 613 (1985).

 

2 - C. Chachaty, ibid. 62, 621 (1985).

 

3 - C. Chachaty dans "Logiciels pour la Chimie", Société Chimique de France,     Paris (1991).

 

4 - E. Zavoisky, J. Phys. USSR, 9, 211 (1945).

 

5 - F. Bloch, W. Hansen, M.E. Packard, Phys. Rev. 69, 127 (1946).

 

6 - E.M. Purcell, H.C. Torrey, R.V. Pound, Phys. Rev. 69, 37 (1946).

 

7 - B. Ranby, J.F. Rabek, "ESR Spectroscopy in Polymer Research", chap. 11,     Springer-Verlag, Berlin (1977).

 

8 - C. Chachaty, J. Chim. Phys. 91, 1848 (1994).

 

9 - D.W. Marquardt, J. Soc. Ind. Appl. Math., 11, 431 (1963).

 

10- "Biological Magnetic Resonance, 8 Spin Labeling , Theory and Applications" édité par L.J. Berliner et J. Reuben, Plenum Press, New York (1989).

 

11- C. Wolf, C. Chachaty, Communication au « 17th International EPR Symposium », Denver (1994).

 

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NdlR. Les graphiques de cet article ont été réalisés à partir de calculs effectués en APL*PLUS III, grâce à l’interface avec Excel Version 4.

 

 



[1] Une forme lorentzienne de raie correspond à la formule : (L/p).(1/(L2+X2)) où L est la demi-largeur à mi-hauteur de la raie centrée en X=0 .